Sabine D'Haen

Sabine D’haen (Billing & Collection Senior Manager bij EDF Luminus) compte parmi les rares credit managers à avoir travaillé dans le recouvrement de créances. Après avoir exercé pendant des années la fonction de billing & collection manager, elle est passée dans le recouvrement pour retourner ensuite de l’autre côté de la table. Autant de bonnes raisons pour s’entretenir avec Sabine et lui demander ce qu’elle a retenu de toutes ces expériences.

Commençons par le début : comment avez-vous atterri dans le credit management ?

« Par pur hasard. J’ai commencé chez Mobistar, au service clientèle, comme étudiante jobiste. Le but était d’y travailler de façon temporaire avant d’aller plus loin. Mais ma carrière a pris une tout autre tournure. Mobistar était une entreprise géniale. Je m’y sentais comme un poisson dans l’eau. À l’époque, Mobistar était le challenger au sein du marché des télécoms. Tout était possible dans cette société en plein développement. Je suis devenue représentante du service clientèle du département Recouvrement. J’ai donc dû apprendre à réclamer des factures impayées par téléphone à une époque il n’y avait pas encore Outlook ni de programmes spécifiques. À ce moment-là, il fallait appeler les clients qui figuraient sur un listing papier. Puis ma carrière s’est accélérée. Après six mois, je suis passée coordinatrice et six mois plus tard, chef d’équipe du service credit & collection chez Mobistar. Les chiffres, la dynamique et l’orientation résultat me sont toujours restés. Je n’en suis d’ailleurs jamais sortie. »

Depuis quand travaillez-vous dans le credit management ?

« Depuis 1999. »

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce travail ?

« Le recouvrement est un domaine qui se situe à la fin du parcours de l’expérience du client. Tous les problèmes convergent à ce niveau-là parce qu’il faut payer. Ces problèmes, vous ne pouvez pas les résoudre uniquement dans le cadre du département des recouvrements. Ce qui est intéressant, c’est de devoir passer en revue le parcours de votre client. Vous devez entrer en contact avec toutes les parties prenantes de chaque contact client existant au sein de l’entreprise pour traiter collectivement les créances douteuses. Vous ne pouvez pas fonctionner en vase clos. Résultat : vous êtes automatiquement impliqué dans chaque point de contact avec le client. Cela commence déjà au niveau de la vente. Comment un produit a-t-il été vendu ? C’est cela qui, pour moi, rend cette fonction la plus intéressante de toute l’entreprise. »

Vous devez être au courant de pratiquement tout ?

« C’est exact. En bout de course, vous n’avez que deux possibilités. Soit le client ne peut pas payer. Il y a différentes façons de remettre les choses sur les rails avant que cela n’arrive. Soit il ne veut pas payer parce qu’il s’est passé quelque chose pendant son parcours au sein de votre entreprise. Comment avez-vous presté le service ? Comment la facturation s’est-elle déroulée ? Comment avez-vous traité le client ? Chercher des réponses à ces questions et trouver des solutions, voilà ce qui me plaît énormément dans ce travail. Si le credit management avait été de la comptabilité pure et que je n’avais pu opérer qu’au sein d’un département financier, je n’aurais jamais travaillé aussi longtemps dans ce domaine. Dans un service clientèle, vous contribuez à créer la dynamique qui entoure le service presté. C’est ce qui est si passionnant. »

Quelles grandes évolutions avez-vous remarquées dans le domaine du credit management au cours des 18 dernières années ?

« La technologie et l’analyse des données sont devenues capitales dans ce domaine de la gestion entrepreneuriale. C’est vraiment révolutionnaire. Sans elles, impossible de gérer l’ensemble du processus dans de bonnes conditions. Il suffit de voir comment les factures sont fournies aux clients… Un autre exemple : les différentes possibilités de paiement. Les processus rigides d’autrefois n’ont plus aucune raison d’être à l’heure actuelle. L’époque de l’envoi des factures papier est pratiquement révolue. De nos jours, il y a de plus en plus de processus et de technologies ou de plateformes qui communiquent entre eux. Il est désormais possible de combiner des paquets comptables entre le client et le fournisseur. »

EDI, xml, services en ligne… Qu’est-ce qui n’existe pas aujourd’hui ?

« Oui, c’est incroyable. Prenez l’exemple d’un système comme Basware. Un garagiste doit s’occuper de son garage, il n’a pas de temps à consacrer à la paperasserie. S’il relie ses logiciels à ceux de Basware pour ses fournisseurs ou ses clients, le tour est joué. Combinez le tout à une entreprise active dans le recouvrement… C’est possible de nos jours. Résultat : le garagiste peut s’occuper de son activité de base. Du reste, les canaux de communication se sont nettement multipliés ces derniers temps. Avant, on communiquait par lettre ou téléphone fixe. Aujourd’hui, ces canaux de communication se sont fortement diversifiés, ils sont devenus beaucoup plus accessibles et flexibles.
Et puis, le tabou qui existait autour du renvoi vers un huissier a complètement disparu. Maintenant, les partenaires externes doivent gérer l’aspect social en plus du reste : favoriser au maximum les règlements à l’amiable pour limiter les coûts. Vous avez remarqué comme les lois ont évolué dans ce domaine ? On pourrait écrire un livre sur le sujet. »

Quel est votre plus gros défi sur le plan professionnel ?

« Il est crucial d’éviter la création de barrières entre le service opérationnel et le service IT. Et c’est encore plus crucial quand on voit l’évolution enregistrée ces dernières années au niveau de la technologie et des innovations technologiques. Aujourd’hui, un manque d’entente entre ces deux services peut se transformer en frustration. Vous devez pouvoir avancer dans vos processus. Un système ERP rigide datant d’il y a 10 ans n’a plus sa place dans le système actuel. »

Les gens capables de créer un pont entre le volet opérationnel et le volet technologique sont donc d’une importance capitale. Les analystes des processus sont donc des figures clés dans ce cadre ?

« En effet. Mais vous avez aussi besoin des personnes impliquées dans chaque point de contact avec le client. Si vous êtes tout seul pour agir en tant que credit manager, vous ne pouvez pas réussir. Vous devez vous occuper des créances douteuses avec tous les services : vente, clientèle, finance. Les problèmes liés à une non-volonté de paiement doivent être résolus avec les collègues concernés. »

Quels grands changements voyez-vous dans le customer-to-cash au cours des années à venir ?

« Je pense que la manière dont on va traiter les millennials va devenir un énorme défi dans les prochaines années. Vous savez, voici ce que mon fils m’a récemment demandé: « Pourquoi y a-t-il une boîte aux lettres à notre porte ? ». Bientôt, il n’y aura plus besoin de leur envoyer de factures papier. Ils ne savent pas comment utiliser une enveloppe à fenêtre. Le client de demain, voilà le plus grand défi à relever. Comment va-t-on communiquer avec les millennials ? Quelle solution vont-ils utiliser pour faire leurs paiements ? »

Ils ne connaissent plus les virements.

« Les millennials n’ont pas d’argent liquide en poche. Ils paient en utilisant leur téléphone et des applis. Il s’agit d’être prêt à gérer le client de demain sous tous ses aspects. Surtout en matière de recouvrement. Je ne pense pas que mon fils connaisse les domiciliations. Les factures ont intérêt à avoir un look sympa et simple. La plupart des gens n’ont vraiment pas envie de recevoir 10 pages de facturation. »

Une suggestion pour les législateurs, peut-être ?

« Ceci ne vaut pas que pour les entreprises actives dans le secteur de l’énergie, mais aussi dans celui des télécoms. Qui lit tous ces détails complexes ? »

Comment avez-vous vécu votre entrée dans le monde du recouvrement ?

« J’avais déjà travaillé pendant 15 ans avec des agences de recouvrement et j’ai aimé me retrouver de l’autre côté de la table. Le défi, c’était de traduire les exigences et les attentes de centaines de clients en processus ciblés sur le débiteur final. Il s’agissait de gérer les choses de façon à connecter tout le monde et à rencontrer toutes les attentes. C’est surtout là-bas que j’ai appris à ne pas ériger de barrières entre business et IT. L’innovation y est capitale. »

L’innovation technologique ?

Aussi, mais surtout la manière dont vous approchez le client et dont vous allez communiquer avec lui. Qui dit recouvrement dit contact avec les débiteurs. C’est là que se situe la valeur ajoutée. Le tabou qui existait autour du recouvrement et des huissiers a disparu. Avant, cela se réduisait à un cachet.

Aujourd’hui, ils prestent un service et travaillent aussi avec un service clientèle. Ils ont des centres de contact et des portails de self-service. Ils veulent offrir une expérience positive au client même s’il s’agit d’un sujet parfois difficile.

« Et il faut que ce soit une expérience extrêmement positive. Les choses ont énormément évolué ces 20 dernières années. Avant, ils envoyaient des courriers et éventuellement un inspecteur. Aujourd’hui, ils misent sur le fait que les actions mises en place vont forcément donner un résultat. Et de nouveau, il y a l’analyse des données. Un élément fondamental pour les agences de recouvrement. Un monde absolument passionnant. »

Cette expérience a-t-elle changé votre vision du recouvrement ?

« J’ai réalisé qu’eux aussi sont très orientés clients et qu’ils ont beaucoup évolué ces dernières années. Du coup, il est possible de nouer de beaux partenariats. On y retrouve les mêmes KPI : accessibilité, satisfaction client et qualité des données. Et les mêmes besoins. »

Si vous pouviez suivre une formation, quelle serait-elle ?

« Une formation liée à la numérisation et à la manière dont je pourrais l’utiliser dans le domaine du recouvrement. Cela me semble intéressant. »

Sabine D’haen (EDF Luminus)
Fonction actuelle ? Billing & Collection Senior Manager chez EDF Luminus
Nombre de clients ? 1,8 million
Montant à recouvrer ? 2,92 milliards
Huissier ou recouvrement ? Les deux, car il faut voir en fonction du type de débiteur, du montant, du segment et de l’âge pour trouver le canal le plus optimal ou le partenaire idéal. Du benchmarking en permanence, donc.
Vos KPI préférés ? En ce qui concerne le recouvrement, ce sont les créances douteuses. Mais si j’élargis la perspective, il y a aussi la correction et l’exactitude en matière de facturation, de montant à payer et de mode de paiement.
Assurance-crédit ou pas ? Dans mon cadre de travail actuel, je ne vois pas vraiment son utilité, d’autant plus que cela dépend du produit.
Ratio financier ? Le résultat d’une entreprise spécialisée dans les informations commerciales.
Votre bouquin préféré ? La Fille du train de Paula Hawkins.
ERP ou software externe ? Pas de préférence spécifique, les deux peuvent fonctionner ; ce qui est important, c’est que les processus end-to-end communiquent bien ensemble.
Votre job avant le credit management ? Mon tout premier job, c’était vendeuse de salons en cuir.
Pour quelle entreprise seriez-vous prête à faire du credit management ? J’ai eu le plaisir de travailler dans le recouvrement pour des organismes de soins, des institutions bancaires, des compagnies d’assurances, des entreprises d’utilité publique et des sociétés de télécoms. Que reste-t-il ? Les instances publiques !

Interview par Steven Penne

Steven Penne

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Source: www.workincapital.be